dimanche 16 décembre 2007

Sandy monitrice

Quatorzième partie - JUIN 1998

Comment tout a commencé entre nous quatre

par: Sandy


Il était midi moins quart et j’avais réussi à laisser mon groupe de douze hyperactifs à une autre monitrice pendant ma grosse demie heure de dîner. Je lui avais dit que j’avais des commissions à faire. Elle n’avait pas oser refuser, mais m’avait regardé m’éloigner avec des yeux de beagles en retenant par un bras un des petits Kaïds qui tentait de défouler son surplus d’énergie sur une petite ronde pleines de tâches de rousseurs.

J’entrai dans le bureau et poussai un soupir de soulagement en fermant la porte derrière moi. Les bruits constants de cris et de jacassements d’enfants s’étouffèrent momentanément. Ce n’était plus qu’un bourdonnement lointain et je me sentais comme en sécurité. Comme enfermée dans un sas blindé pendant que la bombe atomique explosait. Je tombai littéralement sur la chaise, la tête renversée par derrière. Nous étions à la mi-journée et j’avais déjà le cerveau enflé comme une pastèque. Je n’en pouvais plus de chanter, de danser, d’inventer des histoires et de me battre contre les esprits contrôlé par des consoles Nintendo ou Playstation pour qu’ils croient un peu à la magie, non pré-fabriquée, que je tentais de leur inventer. Je n’en pouvais plus d’être une machine à interdictions : « Non, ne fais pas ça! » , « Arrête de te battre… » « Ne cours pas! », « Arrête de pousser tout le temps! » Je n’en pouvais plus de ces parents débiles qui mettaient toutes sortes d’idées préconçues dans la tête de leurs enfants. Ce matin encore, devant mes yeux, il y a ce petit homme, Kevin, un robuste gaillard de huit ans qui est déjà deux fois plus gros que tous les autres, qui traitait mon petit Jean-Philippe de « tapette ». Comme ça. Sans raison apparente, il se met à l’insulter. Je lui dis d’arrêter. Il me regarde avec ses petits yeux provocants qui semblent me mettre au défi. Je commence à lui expliquer le respect des autres, qu’on ne fait pas aux autres ce qu’on ne voudrait que l’on nous fasse. Je lui demande s’il aimerait ça qu’on le traite de tapette, aussi. Il me répond, avec son petit air arrogant : « Moi j’suis un homme, pas une tapette! Parce que moé, j’suis fort pis je pleure pas tout le temps! » J’ai eu l’envie folle de le frapper. De lui crier que déjà à huit ans, il était un gros con. J’ai pensé : « Sors de ton trou d’Hochellaga, pis viens faire un tour dans le Village, Ti-cul, tu vas voir que des gros bras, sûr d’eux-autres comme toi, il y en a des tonnes! » Mais, évidemment, Jean-Philippe, à côté de moi, pleurait à chaudes larmes, ce qui faisait rire tous les autres macaques hyperactifs encore plus fort. Je ne m'avouais pas vaincue. Je leur servis un discours sur l’entraide et sur les préjugés. Je leur ai dit que c’était très étroit d’esprit et qu’ils n’iraient pas loin avec ce genre d’attitude. J’en pris cinq, parmi ceux qui riaient les plus fort, plus Kevin le Terrible et je leur interdis la piscine dans l’après-midi. Le reste de ma matinée se passa dans un calme froid. Je savais qu’ils mijotaient leur vengeance et que demain j’aurais au moins cinq plaintes sur mon bureau. J’avais commencé ce boulot avec la même idée que tout le monde ont des enfants. Vous savez la chanson : « Un enfant, ça vous décroche un rêve..." Je pensais que les enfants ça rêvaient, que ça jouaient, que ça riaient de bon cœur… Maintenant, je sais que la société Nord- Américaine créait des mutants. Des enfants « bof ». Maintenant, les enfants sont ennuyeux comme le canal Météo. Ils ne pensent plus qu’en symboles de jeux vidéos. Ils n’imaginent plus, ils reproduisent ce qu’on leur vend. Les petits garçons se prennent presque tous pour des Ninjas et font constamment des pirouettes (ratées) en pensant qu’ils font des super-savates à la Jean-Claude Van Damm. Les petites filles sont toutes des petites Spice Girl. Elles sont sexy sans savoir ce que ça signifie. Le nombre de blessures à la cheville au camp cet été est hallucinant et il n’y a qu’une raison : Elles viennent s’amuser avec des sandales à semelles compensées! On a tué l’imagination. On a tué Fanfreluche! Et moi, je me bas pour un salaire de misère pour imaginer des chasses aux trésors qui tombent à l’eau ou des Olympiades qui tournent à vide…

Je redressai ma tête, complètement désabusée par la vie en cette fin de siècle. Je regardai le téléphone. Je sortis de la poche de mon bermuda fleuris le petit bout de papier où j’avais écrit le numéro de May. Je regardai l’heure : Midi moins cinq. C’était sûrement l’heure idéale pour l’appeler. Elle ne serait pas là, alors je pourrais lui laisser un message. Je décrochai. Je racrochai. Si elle avait une heure de dîner et qu’elle rentrait chez elle pour manger, elle décrocherait. Je serais obligé de lui parler. Je reposai le combiné. Je détestais ces moments de doute. J’avais tellement peur de faire un faux mouvement que j’aimais souvent mieux ne rien faire. Ça me glaçait le sang…

Bon, allons! Du courage, que je me suis dit. Je décrochai et me mis à composer le numéro. Plus personne ne va manger chez lui de nos jours. Tout le monde est trop pressé. Tout le monde ont des lunchs ou vont au resto. Soudain, je raccrochai. Et si c’était sa journée de congé? Non, personne n’a sa journée de congé un jeudi, comme ça, en plein milieu de la semaine. « Sandy, me dis-je dans ma tête, tu es une femme ou un semblant de femme? » J’inspirai un grand coup d’air climatisé et je décrochai. Mes doigts tremblaient au moindre numéro appuyé, au septième, mon cœur battait aussi fort que celui d’une vierge la nuit de ses noces. Une sonnerie. Ouf! Pas de réponses. Deux sonneries. Ça va bien, toujours pas de réponses. Trois son…
--- Allo?
--- Heu… Allo … (silence)
--- Oui?
--- Je voudrais parler à… Est-ce que May est là?
--- Non. Est-ce que je peux prendre le message?
C’était bien ma chance. Une coloc qui prend les messages. Je savais ce qui m’attendait, soit en lui remettant le message, elle passe un commentaire désobligeant du genre : « Y’a une fille qui t’a appelé. Elle a vraiment une voix de violon mal accordé! » ou encore : « Sandy t’a rappelé. Sandy, c’est celle d’hier ou celle de la semaine passée? » ou encore pire : « Il y a une Cindy qui a téléphoné. J’ai écrit son numéro sur un bout de papier, mais je ne sais plus où il est. » On ne peut pas compter sur une colocataire. Surtout elle. À sa voix, je savais bien qu’il s’agissait d’une ex à May. Une ex un peu jalouse, qui se spécialise dans le sabotages des nouvelles rencontres. « Been there, done That! »
---Heu… Non, merci… je…
---Est-ce que tu es Sandy?
--- Heu… Oui…
--- Ho! Écoute, May répète jusqu’à cinq heures et après elle va souper avec sa mère, mais elle tenait tellement à ce que je te dise qu’elle sera au karaoké. Elle aimerait ça que tu viennes la rejoindre, ce soir.
--- Ha! Le karaoké dans le Village? Répétais-je, un peu bouche bée.
--- Ben oui! Lequel tu veux que ce soit? Écoute, elle arrête pas de parler de toi. Tout le temps à demander si tu l’as rappelé…
Les mots en cascades de la coloc s’enchaînaient à un rythme fou. Elle ne cessait d’accélérer son débit. J’avais l’impression qu’elle ne respirait pas. Je l’imaginai devenir bleu et ensuite violet tout en déboulant les phrases l'une après l’autre. Comme si la fin du monde était pour la prochaine minute. Je la coupai.
--- J’ai failli l’appeler hier, mais… Je n’ai pas eu une minute à moi.
--- Elle comprend. Elle va être folle de joie que tu l’ai rappelée. Alors? Est-ce qu’on se voit ce soir?
« On se voit? » que je me suis dit dans ma tête. Elle va être là?
--- Je pense que oui.

Tout le reste se passe comme dans un souffle, un peu brumeux, et ensuite l’éclaircie. Dédé, elle s’appelait Dédé, la coloc, me raconta que May pratiquait pour une création de danse contemporaine avec d’autres danseurs récemment diplômés. Elle me raconta qu’aussi, les jeudis au Karaoké étaient sacré pour son groupe d’amis danseurs, comme la messe le dimanche l’était pour nos grands-mères. Elle me raconta tout de la vie de May. Elle me tenue au téléphone pendant toute la demie heure de ma pause. Je raccrochai enfin. À bout de souffle. Mais ma poitrine s’emplit d’une douce chaleur. Comme celle qu'on ressent avec le soleil du printemps lors des premières journée de beau temps en Avril.

La vie est bien faite quand même. Maximum, à qui j’avais parlé ce matin même en prenant mon café, m’avait annoncé qu’il me préparait deux surprises. Il n’avait pas dormi de la nuit, mais il avait trouvé la solution pour faire manquer à Vicking sa nuit au dépanneur. De plus, il nous préparait lui aussi une surprise de taille. Sans vouloir m’en dire plus, il avait raccroché en me souhaitant « Bonne journée! »

J’avais très vite composé le numéro de Flo pour m’assurer qu’ils viendraient. J’avais attrapé Pepper, la voix encore enrouée. Elle aussi avait mal dormi. Tout en écoutant à moitié son histoire de cauchemar et de patronne méchante, qui ressemblait étrangement à la belle-mère de Blanche-Neige, je réussis à la convaincre de venir chanter avec nous et surtout d’y amener Flo. Pepper n’était jamais partante au début. C'est pour cette raison que je la connaissait vraiment pas beaucoup! Elle ne sortait jamais! C’était le genre de fille qui doit se faire supplier avant de dire oui. Elle ronchonne quand on essaie de la sortir de son petit confort, mais elle n’était pas trop difficile à convaincre. Elle me dit un « Bon, d’accord! » en soupirant bruyamment et j'entendis sa cuillère tinter sur le rebord de sa tasse pleine de café fumant. Flo sorti de la douche et il eut le temps de m’embrasser par combinés interposé avant que Pepper ne raccroche. Flo semblait en forme, même s’il allait travailler à son Club vidéo. Il devait se douter de nos plans et ça le rendait de bonne humeur de s’y abandonner.

Moi aussi, je m’abandonnais aux plans du destin. Il faisait une chaleur à tuer dehors. Les premiers jours d’un été qui s’annonçait chaud. Ce soir, tous les espoirs étaient permis. Je me levai en ayant l’impression d’oublier quelque chose. J’ouvris la porte. Le vacarme du camp de jour me sauta à la gorge comme une lionne s’attaque à une proie affaiblie. Je fis trois pas et déjà mes mains furent prises prisonnière par deux petites mains moite, une pleine de chocolat, l’autre de, je n’ose imaginer quoi… Je regardai mes escortes. C’était mes jumelles « scotchtape ». Leur sûrnom venait du fait que ces deux petites puces prenaient les moniteurs littéralement en otage. Elles étaient adorables avec leurs longs boudins noirs qui leur tombaient sur les épaules. Elles me regardaient de leurs yeux de jade.
--- Où t’étais? Me demanda l’une d’elles.
C’est quand même beau un enfant!

--- TAPETTE! TAPETTE!!!

Je lâchai les mains des jumelles et je pris l’allure d’une sprinteuse à la recherche de la ligne d’arrivée. Je tournai dans la salle d’Arts Plastiques. J’attrapai Kevin d’un seul élan de la main par la nuque et je serrai.
--- Tu me fais mal! Lâche-moi! Me cria-t-il.
J’étais hors de moi. Je serrai plus fort.
--- Je te lâcherai quand tu auras compris que…
---J’vas le dire à mon père!
--- Ton père me fait pas peur, Kevin! Je veux juste que tu comprennes une fois pour toute que…
--- T’es pas le boss icitte!
--- Toé non plus, Ti-cul! T’es loin d’être le boss… Pis tu vas me dire pourquoi tu arrêtes pas de dire des choses méchantes… Je t’ai dis cent fois d’arrêter!
Kevin devenait peu à peu presque attendrissant. Il retenait ses larmes. Toutes les 30 paires d’yeux étaient rivées sur nous. Les trois paires des autres monitrices aussi.
--- Jean-Philippe a mis du rose dans son dessin. C’est les filles ou les tapettes qui mettent du rose dans leur dessin.
---Qui qui t’as dit ça?
--- Mon père. Mon père y veut pas que je mette du rose dans mes dessins!
Je ne me demandais plus si je devais punir l’enfant. Je me demandais comment tuer le père!


... Et c'est ce soirlà que notre amitié à quatre a vraiment pris tout son sens...

1 commentaire:

Anonyme a dit…

...wow, pas de rose dans ses dessins...