samedi 1 décembre 2007

La vieillesse...

Douzième partie - JUIN 1998

Comment tout a commencé entre nous quatre

par: Pepper


"J’avais raconté ma journée de merde au bureau. Moi contre une nouvelle patronne tyrannique. J’en avais même rajouté un peu, pour faire un peu de piquant, à Mini. J’aimais bien parler à Mini. C’était une femme d’expérience, une femme libre, qui travaillait comme réceptionniste dans un bureau de dentistes depuis la fin des années 70. Elle s’était adaptée à l’arrivée des nouvelles technologies et maintenant, elle connaissait mieux les ordinateurs que moi. Elle avait toujours pleins de conseils à donner en ce qui à trait aux patrons difficiles ou aux situations délicates. Elle m’avait annoncé à brûle pourpoint qu’elle pensait prendre sa retraite d’ici deux ans. Je lui avais répondu qu’elle avait bien le temps d’y penser encore. Et elle m’avait répondue :
--- Ma petite Pepper, j’ai 62 ans. Je me disais que ce serait assez bon de prendre ma retraite en l’an 2000. Ça serait un peu comme un début… Une nouvelle ère pour moi aussi…

Je n’en étais pas revenu. Mini allait avoir presque 65 ans à l’an 2000. Non, je ne pouvais pas me faire à l’idée. Elle était encore tellement en forme.

J’entrai dans la cuisine. Big fat cat était monté sur le comptoir et buvait à même le robinet de l’évier.
---Flo! Je t’ai dit mille fois d’arrêter de donner cette mauvaise habitude au chat. Ça m’écoeure!
Je soulevai l’énorme animal par le ventre et je le déposai par terre. Il miaula en signe de protestation. Il fit trois tours autour des pattes d’une des chaises et finalement monta sur sa voisine. Il entreprit sa toilette. Flo se grattait une fesse, debout devant le frigo grand ouvert.
--- Oh! C’est pas si grave.
--- Si tu ne lui ouvre plus l’eau, il perdra cette habitude débile.
Flo ne répondit pas.
--- Tu savais que Mini pense prendre sa retraite? Demandais-je, histoire de recréer un contact sympathique.
--- Bof! Elle en parle, mais avant qu’elle le fasse…
--- Elle m’a annoncée tout à l’heure qu’elle allait avoir 65 ans dans deux ans.
--- Ben oui, elle est née en 35! Me répondit-il, presque énervé, avec un soupir dans la voix. Tu as faim, Pepper?
--- Oui. Tu veux qu’on se fasse quelque chose en commun?
--- Ça serait cool.
--- Mais tu participes! Je veux pas tout faire toute seule. Je suis pas ta bonne!
--- Ben oui! Me répondit-il en s’asseyant. T’es ben rochante aujourd’hui!
Je ne l’écoutais pas.
--- Tu te rends compte? 65 ans! C’est tellement vieux! Pis Mini a l’air tellement jeune. Elle est encore toute mince.
--- Elle a quand même un petit ventre.
--- Pis ses beaux cheveux noirs au carré…
--- Elle se teint!
--- Elle est à peine ridée!
--- T’as jamais remarqué son cou? Elle a la peau du cou qui commence à tirer vers le bas. Pis elle a des petites bajoues de St-Bernard, un peu…
--- Arrêtes! Ta mère a pas l’air d’une personne du troisième âge!
--- Bon! Qu’est-ce que tu essaies de me dire? Que ma mère devrait faire changer sa date de naissance?
Flo était énervé et je ne comprenais pas pourquoi.
--- C’est juste que Mini… Mini… J’avais jamais réalisé que… Te rends-tu compte que ma grand-mère est presque du même âge que ta mère?
--- Ben voyons!
--- Ma grand-mère s’est mariée à 16 ans. Elle était enceinte de ma mère. C’est fou!
--- Oui.
--- Mais ce que je veux dire c’est que ma grand-mère a l’air d’avoir au moins 20 ans de plus que Mini. C’est fou! Regarde!
Je courus dans ma chambre ramasser un portrait de famille pris l’été dernier qui était encadré sur mon bureau. Je le montrai à Flo.
--- Mais tu peux pas comparer. Ta grand-mère a eue 15 enfants sur une terre en Gaspésie
--- Regarde! Elle est grosse, toute ridée, les cheveux gris… Pis regarde ses jambes… Il y a pleins de veines bleues pis de plaques…
--- Elles n’ont pas eu la même vie. Ta grand-mère a vécu à la dure. Mini, c’est une petite femme de ville qui a toujours pris soin d’elle. Elle s’est toujours arrangée pour aller chez l’esthéticienne régulièrement…

Flo se leva et retourna au frigo. Le travail n’avançait pas assez vite pour lui. Il me demanda si j’avais le goût de manger un spaghetti, sauce à la viande de Mini (étant donné qu’on parlait d’elle.) Je dis oui, en repensant immédiatement après aux trois plis sur mon ventre, aux pâtes qui tuent et au gros ventre de ma grand-mère Gaspésienne. Je me retournai et j’entrepris de faire la vaisselle qui traînait-là depuis la veille et l’autre veille et l’autre veille. Nous avions besoin de deux chaudrons. Mon coloc sortit la sauce et regarda pour les pâtes. Il râpa du fromage, pendant que j’essuyais les chaudrons nécessaires. Je n’en revenais toujours pas. Je crois que c’est à ce moment que je compris que je deviendrais vieille un jour. Enfin, je le savais, tout le monde le sait, mais ce que je veux dire c’est que maintenant, tout en frottant des assiettes à la chaîne, je le sentais en moi. Dans mon ventre. Chaque instant me rendait encore un peu plus vieille.

Quand j’avais connu Mini, je l’avais imaginé dans la cinquantaine. Jeune cinquantaine! Ce qui était le plus terrible, c'est que je voyais « live » une amie (parce que je considérais Mini comme mon amie.) basculer dans la vieillesse. Je ne pouvais rien y faire. Je ne pouvais pas lui tendre la main pour la sortir du gouffre où elle glissait… C’était la dure réalité de la vie. Welcome to life, baby! On vieillissait et un jour, nos corps fatigués mouraient. On n’y pouvait rien. C’était comme ça! C'est la première fois de ma vie où j'ai compris que ma mère à moi aussi mourrait un jour...

Je mangeai mon spaghetti en silence et Flo, Le chat et moi avons regardé un film avec Catherine Hepburn et Peter Fonda, « la maison sur le lac » - Un film, justement, sur un couple de 80 quelques années, qui vit un de ses derniers été de vacances dans leur chalet, après quelques 60 ans de vie commune. En regardant Peter Fonda avoir un malaise dans les bras de sa vieille femme paniquée, mais impuissante, je ne pu retenir mes larmes. Je partis me coucher avant la fin. J’eue de la difficulté à m’endormir et quand j’y réussi enfin, je rêvai que je me tenais devant un grand miroir et que mon reflet vieillissait en accéléré. Arrivée à un point où je n’étais plus qu’une femme squelettique presque momifiée, une porte s’ouvrit derrière moi et une silhouette noire tenant une grande faux se tenait à contre jour. Je me réveillai dans un cris. La nuit était noire. Il était trois heures et quart. Je ne pu me rendormir."

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