mardi 27 novembre 2007

L'Histoire de famille de Flo

Onzième partie - JUIN 1998

Comment tout a commencé entre nous quatre

par: Flo


" J’avais deux messages sur le répondeur. Un premier de Mini, c’est à dire, ma mère. Je ne sais plus trop d’où ce sûrnom venait, mais j'avais attribué à ma mère ce sûrnom. Sûrement pour rire un peu de sa petite taille. Finalement, il lui avait collé à la peau. Maintenant, c’était Mini pour tous. Je l’avais négligé dernièrement. Ça devait faire deux semaines que je ne l’avais pas vu. Elle me le rappelait sur le message, sans amertume, mais avec une douce pointe de reproche comme seules les mères savent les glisser dans les conversations.
Le deuxième message, c’était Sandy. Elle avait sûrement une idée derrière la tête pour demain soir. Elle avait un rendez-vous avec une fille et elle nous invitait tous à ce premier rendez-vous – du moins c’est ce que j’en déduisais après trois écoute de son message complètement incohérent. Je trouvais cela louche. J’effaçai le message. Je raccrochai et décrochai instantanément. Je composai le numéro de Sandy. Une seule sonnerie et Cindy Lauper et son « Girls just wanna have fun » introduisit son message d’accueil sur son répondeur. Je raccrochai avant d’entendre sa voix et celle de July. Je savais qu’une des deux parlait au téléphone. J’allais essayer un peu plus tard. J’appelai Mini.
--- Allo? Fit-elle en décrochant, avec sa petite voix de souris.
--- Mini! C’est ton fils préféré.
--- Flo, mon homme! Alors? Qu’est-ce qui se passe? Ça fait longtemps que tu ne m’as pas donné de nouvelles…
--- Je sais, je sais… Commences pas par des reproches. Je suis super occupé.
--- Excuse-moi, mon homme. C’est juste que tu me gâtais plus avant…
Pendant mes premières années en appartement, j’avais habitué ma mère à l’appeler à tous les jours. Même si je n’avais rien à lui raconter. J’étais parti très tôt de la maison. Je crois que j’avais un besoin intense de me trouver un centre vital bien à moi. Une bulle. À la maison, j’étais tellement en symbiose avec Mini que ça m’empêchait d’aller au bout de moi. Enfin, de ce que je devais ou pouvais devenir.
Mini était une véritable sainte des temps modernes. Sûrement la dernière de son espèce. Elle n’aimait pas que je parle d’elle comme ça. Elle n’aime pas porter l’auréole, et pourtant, elle la porte fièrement. Disons que ma mère est comme une espèce d’enfant perdue entre deux époques. Elle était la dernière enfant d’une famille de sept et elle avait perdu son père dans un accident au début des années 40, alors qu’elle n’était qu’un bébé. Mon grand-père travaillait dans un moulin à papier dans la petite ville des Cantons de l'Est. Au printemps, les hommes devaient descendre sur la rivière pour débloquer les troncs d’arbres qui embourbaient le passage au moulin. C’étaient les derniers temps des chantiers de coupe de bois dans le Nord. Les bûcherons faisaient descendre le fruit de leur coupe par les rivières au courant descendant vers le Sud. Les billes de bois, arrivant au moulin en masse, se bloquaient souvent à l’entrée du moulin. Les hommes devaient alors jouer au draveur pour décoincer et faire passer le bois dans l’ouverture. Il s’agissait de manoeuvres assez dangereuses. Les hommes y allaient souvent sans canot et sautaient de tronc en tronc. Souvent, ils tombaient dans l’eau glacée, au péril de leur vie. C’est ce qui arriva à mon grand-père. Il tomba une fois de trop. Au printemps 1941, il disparut dans l’eau noire et il ne remonta jamais à la surface. C’était chose courante pendant ces années de misère. Ma grand-mère eut à prendre en charge une famille de sept enfants, dont la plus vieille avait à peine 10 ans. Mini avait quelques mois.

Mini n’avait donc aucun souvenir de son père. Par contre, elle avait des cicatrices profondes de son enfance de pauvresse, élevée à la dure par sa mère. Je n’aimais pas beaucoup ma grand-mère. C’était une femme aigrie et sèche. Elle ne manifestait aucune marque d’affection. Je pense que sa vie était morte depuis longtemps, mais son corps continuait à se dessécher tranquillement. Elle croupissait maintenant dans un hôpital de soins prolongés.

Mini s’était donc mariée très jeune – trop jeune – avec mon père, qui lui aussi était très jeune. Tous les deux voulaient sortir au plus vite de leur noyau familial étouffant. Elle avait 19 ans, et mon père, 18. Ils étaient vierges (évidemment!) innocents. Immaculés. Ils croyaient à l’amour éternel. Comme si les promesses qu’on se faisait à 18 ans peuvent durer toujours… Mes deux sœurs arrivèrent pendant les deux premières années de mariage. Quand je regarde des photos de cette famille, je crois voir des affiches publicitaires de la famille type américaine des années 60. Ma mère, avec ses coiffures hautes et un tablier fleuri, posant devant l’arbre de noël avec la balayeuse que mon père lui avait achetée. Mon père, avec sa moustache et une Player’s light entre les lèvres, posant devant sa nouvelle voiture. Et mes deux sœurs, deux petites poupées que ma mère habillait en robes assorties. Anne-Sophie en rose et Marie-Michelle en bleue. Bien qu’elles n’étaient pas jumelles, ma mère se plaisait à les habiller semblable. Mini n’avait jamais eu de poupée quand elle était petite, elle s’est reprise avec son rôle de mère. Elle jouait à la mère comme les petites filles jouent à la poupée. Ce bonheur dura une dizaine d’années. Années durant lesquelles mon père finit ses études à l’Université et devint Ingénieur. C’était la fierté de ma mère d’être l’épouse d’un « Professionnel ». Elle gouttait enfin au luxe dont elle avait tant rêvé. Elle se vautra et se venta dans sa vie « confortable » jusqu’au jour où tout s’écroula. Mon père avait une maîtresse. Pendant ses années d’études par les soirs, il avait apprécié la liberté. Il avait rencontré d’autres gens, des gens qui avaient autre chose en tête que l’étroitesse de clocher qu’il avait toujours connu. Des jeunes qui ne pensaient plus en fonction du péché. Des humains imprégné de vie, libéré du catholissisme. Il rencontra Ruth. Ma mère découvrit l’existence de Ruth par les chemins classiques. Des relevés de factures louches, un savon de chambre d’hôtel dans la serviette de mon père, une addition de restaurant. Elle mit mon père au pied du mur. Il avoua. Mais en 1970, on ne laissait pas s’écrouler le rêve de famille idéal aussi facilement. On s’accrochait. Ils décidèrent, aussi candidement que des adolescents, de sauver leur mariage en se faisant un nouveau bébé. Ce bébé tout neuf les rapprocherait. Il sauverait le couple. J’étais bien au chaud dans l’utérus de Mini quand la famille quitta la maison de Magog pour aller s’installer dans un beau bungalow tout neuf dans une banlieue de Montréal. À Longueuil, une ville dortoire, à l’avenir prometteur pour les jeunes familles des années soixante-dix.

Évidemment, ce plan ne fonctionna pas. Mon père avait de nouvelles exigences de travail dans la Métropole. Les ponts à traverser matin et soir dans les embouteillages le rendaient fou… Et Ruth avait suivit l’homme qu’elle aimait. Bien que mon père ne lui avait pas dit où il partait, Magog était un grand village à cet époque. Elle ne mit pas de temps à retrouver sa trace dans la grande ville. Et elle n’eut pas de difficulté non plus à se faire engager dans la même entreprise que mon père. Elle était sortie première de sa promotion d’Ingénieur. Mon père retrouva celle que j’appelle maintenant, la femme de sa vie, car, il faut bien l’avouer, si mon père ne s’était pas marié avec sa première blonde, il aurait inévitablement rencontré Ruth. Magog est une toute petite ville pour deux âmes qui sont faites pour s’entendre… Bien que ça ne fasse pas plaisir à ma mère que je dise ça : Ruth et mon père forment encore aujourd’hui un couple qui s’entend à merveille. Bref, quatre ans après ma naissance, au début des années 80, mon père partait avec ses valises.

Ce furent des années très difficiles pour Mini. Elle faillit devenir folle. Trop de peine. Elle était complètement en proie au malheur. La maison fut saisie et nous emménageâmes en catastrophe dans un petit appartement, que Mini habite toujours. Ma sœur aînée, Anne-Sophie, est partie de la maison quand j’avais huit ans. Elle vit maintenant à Ottawa. Je sais qu’elle travaille dans un Ministère, mais je ne sais pas lequel. On ne se voit pas. Marie-Michelle, elle, a fait une fugue à 15 ans. La police l’a retrouvé quelques mois plus tard, complètement défoncée, dans une chambre d’hôtel sur la Rive Sud. Elle a été accusée de vol à main armée et a été placée dans une maison de correction. Elle a fait de multiples fugues, mais a toujours été rattrapée. Aujourd’hui, elle purge une peine de prison parce qu’elle a tué une femme enceinte alors qu’elle roulait à toute vitesse, saoule, dans un quartier de Laval. Je suis allé la voir une fois en prison, surtout pour accompagner Mini. Ce fut horrible. Je l’ai à peine reconnu. Elle et Mini ont pleuré tout au long de la visite.

Sans doute à cause de toutes ces histoires, j’ai tendance à surprotéger ma mère. Enfin, je tiens quand même à faire ma vie. Même si je me sens facilement coupable. J’ai l’impression que ma mère n’a que moi sur qui compter. Je voudrais tellement qu’elle ait sa part de bonheur.

Bref, une semaine après mon bal de finissants du secondaire, j’emménageais dans mon premier appartement. Un beau trois et demi, tout croche, tout vieux, où j’ai gelé en hiver et eu trop chaud en été,mais c’était chez nous! Mini m’a aidé à déménager. Elle m’a donné pleins de vieilles choses, des neuves aussi. Des choses qu’elle savait que j’aimais. Elle a retenu ses larmes jusqu’à ce qu’elle arrive chez elle. Elle m’a dit qu’en rentrant dans ma chambre vide, elle s’était effondrée. Mais ces larmes, ce n’était pas de la peine, c’était de la fierté. Elle versait ces larmes parce qu’elle avait le cœur enflé de fierté d’avoir un fils qui suive ses rêves. Mon rêve, c’était de poursuivre mes études en arts. Je crois qu’aucune mère n’est plus fière de son fils au monde que ma Mini.

--- Bref, donne-moi des nouvelles. Me demanda-t-elle.
--- Bof! Rien de spécial. Hier, je suis sorti avec Sandy et j’ai revu un vieil ami du primaire… Tu t’en souviens sûrement… C’est Maximum.
--- Maximum?
--- Maximum! Tu t’en souviens? Le petit blond bouclé que tu disais ressemblait à un petit St-Jean Baptiste…
--- Oui, oui, je me souviens de lui. Où tu l’as rencontré?
--- Au Sky.
--- Il est gai lui aussi!
--- Ça m’a tout l’air, oui.
--- Hé ben…
--- Et toi? Qu’est-ce que tu racontes de bon?

J’avais évité de parler de l’épisode Vicking qui arrive dans ma chambre Vs L'Ange Gabriel couché dans mon lit. Je ne parlais pas à ma mère de mes aventures fortuites d’une nuit. Elle avait tellement une vision utopique de l’amour, que je savais à l’avance qu’elle désapprouverait. D’abord subtilement, mais je sentirais la pointe, je mordrais et on finirait par s’engueuler et dire des choses qu’on regretterait. Même après plus de vingt ans de séparation d’avec mon père, Mini continuait d'espérer son retour. Après son départ, elle n’avait plus eu d’autres hommes dans sa vie… Et dans son lit. Mon père avait été le seul et l’unique. À chaque fois qu’une de mes histoires d’amour avortaient, je sentais comme une sorte de honte m’envahir l’estomac. Mini essayait sans doute de comprendre, mais elle ne pouvait pas faire autrement que de me reprocher d’avoir été « trop vite en affaires » et de faire confiance trop facilement. Elle avait déjà rencontré quatre de mes copains : Jean-François, le premier. Celui avec qui j’avais pensé que je finirais mes jours. Ensuite, il y eu Chris, l’Américain de Boston, qu’elle n’avait pas beaucoup aimé parce qu’il ne parlait pas français. Celui pour qui j’avais tout laissé. En plein milieu de ma deuxième année d’études, j’avais vendu toutes mes choses et j’étais allé vivre à Boston. J’étais parti, avec un gros sac à dos, dans un autobus un jeudi soir. J’étais revenu, le cœur en miettes, par un bus de nuit le lundi d’après. Ensuite, bien sûr, elle avait rencontré L'Ange Gabriel, qu’elle avait trouvé charmant. Et St-Pierre, qu’elle avait vu une seule fois, et qui avait été son préféré. Après que tout soit fini avec St-Pierre, sans savoir qu’il était parti avec L'Ange Gabriel, nous avions eu une dispute mémorable. Elle m’avait reproché de ne jamais me satisfaire de ce que le ciel m’envoyait et que finalement, j’étais comme mon père. Ce fut terrible. C’était la première fois que je levais le ton contre Mini. Je lui avais crié que j’en avais assez de tous ses jugements, comme si elle était une sainte, sur ma vie. Qu’avec toutes ses croyances, elle était très mal placée pour me juger, vu que de son côté, ça n’avait pas plus marché. Je l’avais énormément blessé. Et nous avions été une semaine sans nous parler. C’était elle qui m’avait rappelé, en faisant comme si de rien n’était. Depuis cette dispute, je ne l’appelle plus à tous les jours. Et je censure ce que je lui raconte.

La conversation d’aujourd’hui tourna vite à vide. Elle non plus n’avait rien de spécial à raconter, à part quelques histoires de voisines et d’enfants de voisines. Mini était seule. Toutes ses voisines étaient déjà grands-mères depuis plusieurs années. Mini n’aurait sûrement jamais cette joie. Elle ne faisait, par contre, jamais de reproches. Elle critiquait au contraire. Elle critiquait la manière qu’ont les jeunes d’aujourd’hui élèvent leurs enfants. À toujours les faire garder par les grands-mères. Mini vieillissait. Elle approchait de la soixantaine. Déjà! Et elle vieillissait seule.

J’entendis la porte d’entrée s’ouvrir et le chat obèse, qui était sur mes cuisses et avait recouvert de poils mes pantalons, sauta par terre et se précipita hors de ma chambre pour aller accueillir l’arrivant. Une voix se fit entendre.
--- Allo! Il y a quelqu’un?
C’était Pepper qui entrait de sa journée de travail. J’interrompis Mini.
--- Attends un peu, Pepper vient de rentrer.
Je mis la main sur le récepteur et criai.
---Je suis dans ma chambre.
Pepper se montra la tête par l’ouverture de la porte.
--- Tu es seul?
--- Ne dis pas de conneries. Je suis au téléphone avec Mini.
--- Ha! Mini! Tu me la passes quand tu auras fini? Ça fait longtemps que je lui ai pas parlé.
Je revint à Mini.
--- Mini?
--- Oui?
--- C’est Pepper qui vient d’arriver. Elle veut te jaser un peu. Tu as autre chose à me dire?
--- Non, non, mon homme. Tu travailles demain?
--- Oui.
--- Tu m’appelles en rentrant du Club vidéo?
--- Si tu veux.
--- Je t’embrasse.
--- Moi aussi. Allez! Je te passe Pepper. Salut!
Pepper pris le téléphone et s’installa sur mon lit défait en saluant ma mère. Je sortis de mon lieu « violé » et me dirigeai vers la cuisine. J’avais un petit creux."

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