vendredi 6 avril 2007

Début d’été, début de soirée

Première partie - JUIN 1998
Comment tout a commencé
Par FLO
"Le fond de l’air gouttait encore l’averse de début de soirée. L’asphalte demeurait mouillée par endroit. Il s’agissait surtout de cette odeur humide, en fait. Ça me rendait mélancolique. Cette odeur âpre des pluies de printemps, du goudron chaud qui a pris une douche froide, me donnait la preuve, encore une fois, que l’été s’installait bel et bien pour quelques mois sur Montréal. Cette sensation d’air trop lourd. La difficulté de faire entrer l’air surchauffé par mes narines et oxygéner correctement les moindres cellules de mon petit corps me faisait presque tourner la tête. Je ressentais ce sentiment noir (et connu) s’installer et me donner de fortes pressions sur ma cage thoracique. Je la sentais s’écraser, se broyer… Je portais toujours, à tous les jours, cet indéfinissable envie de mourir. J’avais envie de disparaître même si tout le monde ne pensait qu’à se montrer. Tout le monde transpirait d’un grand besoin de baiser et tout cela annonçait l’été. Je déprimais sur mon minuscule bloc de ciment qui voici encore quelques semaines se faisait gruger par le calcium.
--- Pourquoi les personnes à qui on donne notre numéro de téléphone dans les bars nous rappellent jamais?
Il s’agissait De Sandy, dont j’avais presque oublié l’existence, qui revenait les mains débordant d’assiettes de carton mous sur lesquels étaient alitées des pointes de pizzas à 1 dollars achetées à la pizzeria cheap d’en face. Je levai la tête et lui souris.
--- Parce que c’est toute une bande de sans dessein!
Elle rit. J’avais formulé une bonne réponse.
--- Pousse-toi un peu, Flo. Me lança-t-elle. J’veux pas m’asseoir dans l’eau.
Je me poussai de trois fesses pour donner une place sèche sur mon trottoir à mon amie. Du coup, ce fut mon cul qui se retrouva à la trempette. Elle rigola encore.
---Excellent!
Je lui pris des mains un morceau flasque de pizza en lui forçant un sourire qui devient sincère. Je ne pouvais pas me fâcher contre Sandy. Elle demeurait, sans doute d’ailleurs, la seule et unique personne contre qui je ne faisais jamais de colères mémorables. Même si la soirée ne s’annonçait pas géniale, même si mon cul imbibait tel une éponge, une flaque douteuse… Et même si la pizza gouttait le carton au mauvais mozzarella.
--- C’est génial! Ironisais-je.
--- Quoi ? Me demanda-t-elle, la bouche pleine.
--- C’est carrément dégueulasse!
--- Je sais! Mais, c’est juste pour remplir un trou… Avant de passer à la phase deux de la soirée .
Il s’agissait exactement de cette fameuse phase deux qui attaquait le fond de mon estomac. Il se nouait et gargouillait. J’angoissais sur la phase deux. Pourquoi sortir encore et encore en espérant trouver le prince charmant? Je suis loin d’être Cendrillon! Je replongeais, comme ça, pathétiquement, dans mes pensées noires en fixant mes pieds qui reposaient dans la rue. Je pensais à une scène de film, je ne sais plus lequel, un film québécois des années soixante-dix, où Elise Guilbeault se fait couler du ciment sur la tête. Elle meurt engloutie par des tonnes de ciment frais qui durcira et l’emprisonnera à jamais. Je m’imaginais aussi être de la grosseur d’une fourmi, attrapé par de l’asphalte frais, asphyxié par l’odeur du goudron qui prend du soleil en pleine gueule un jour de juillet. Salope d’été! Tu auras ma peau.
---Tu sais pas qui j’ai vu tout à l’heure quand j’attendais en ligne pour la pizz? Me demanda Sandy comme si elle me lançait une corde pour me sortir d’un trou très profond. Je regardai la corde pendre.
---Non.
--- Tu t’souviens de May?

---Non.
--- May! Mais oui, tu te souviens.
---May? Dis-je, sans vraiment réfléchir, mes yeux n’arrivant plus à se détacher des reflets de néon que la flaque d’eau, sous mes cuisses, transmettait
---May! Tu te souviens pas? La belle petite brune qui avait l’air d’une chinoise? Mais oui! Je lui avais donné mon numéro de téléphone le mois passé!
--- Quand on est sortie dans ton bar de gouine?
---Non! Pas dans MON bar de gouine, dans LE bar de gouine!

Je me souvenais très bien, mais j’aimais tester les limites de mon amie à grands coups de mauvaise foi!
---Et alors?
---Alors rien.
Me rétorqua t’elle.
Je me retrouvais bien puni de mon manque de coopération, elle boudait même si elle venait de remporter la partie en m’intéressant à son histoire. J’étais coincé dans un flash-back. Je me rappelais de cette soirée et de cette brunette aux mèches folles. Sandy et moi avions abouti dans un bar complètement ringard (pour femme seulement) en désespoir de cause il a de cela cinq ou six semaines. La soirée nous tombait dans les jambes après avoir été très (peut être même trop) bien arrosée. Nous désirions encore plus de cette soirée. Nous voulions danser la tête dans les vapes encore toute la nuit. Mais, nous voulions aussi découvrir, explorer et nous faire surprendre. Nous n’étions pas encore assez saoul pour risquer un endroit cuir, quoi que Sandy insistait pour se coller une moustache et défier les doorman.

Le bar où Sandy me traîna se situait dans un deuxième étage d’une poste désaffectée. Je failli ne pas pouvoir entrer, mais Sandy convint la grande black du vestiaire déguisée en bulldog. De toute façon, l’endroit était presque désert. La piste de danse n’accueillait que deux grosses femmes à la coupe Longueuil, les deux dansant complètement à l’opposée l’une de l’autre. Une devant un speacker, l’autre devant un ventilateur géant. Je regardai Sandy de mes yeux de chien battu, vérifiant si elle assumait toujours. La black qui venait de prendre mon coat jeans m’attrapa le bras.
--- Eh! Tu oublies ton ticket, ti-gars!
---Merci!

Elle me ramena à elle en m’agrippant un peu plus fort.
---J’te laisse rentrer parce que t’es avec elle, mais tout seul, penses-y même pas!
Je ne relevai pas. Dans ma tête, par contre, je lui fis un magnifique plaidoyé, sur le ridicule de se ghettoïser, que la guerre froide que se livre les lesbiennes et les moumounes à grands coups de regards condescendants et de propos réducteurs n’était pas mieux que les propos haineux qu’on les gros hétéro à notre sujet en buvant leur 50! Et je me rappelai de tous les mots que j’avais employé en persuadant Sandy qu’il était meilleur pour notre santé mentale de ne pas aller dans un bar de cuir! Je cherchai des excuses à envoyer à je ne sais qui. Et ne trouvant personne, je demandai pardon à Dieu, en lui demandant de faire le message.

L’endroit était sombre, éclairé au black light, ce qui faisait ressortir, non seulement les dessins psychédéliques des murs, mais aussi et surtout nos blancs de yeux et nos magnifiques dents jaunes. La musique par contre me redonna espoir. C’était un mélange de musique de mon adolescence, de l’alternatif anglais, ou du gros disco made in USA. Cinq minutes plus tard, nous gesticulions sur la piste de danse comme si nous nous retrouvions en 1980, à New-York en train de passer l’audition pour entrer à la brillante école du film Fame. Sandy et moi perdions toujours la notion du reste en dansant. L’air et l’espace s’emplissait de notre folie passagère et nos yeux s’allumait sur le moindre geste de l’autre pour ne rien perdre de ses prouesses chorégraphiques. Soudain, le contact avec Sandy se brouilla (et c’est ici qu’entre en scène la fameuse May). Une ravissante petite femme au maquillage élaboré roulait du bassin et de la tête tout près de nous, enfin près de Sandy. Cette dernière l’avait remarqué, évidemment. Prétextant que Mélissa Ethridge ne lui plaisait pas, elle me fit signe qu’elle avait soif. Nous nous sommes donc rendus au bar pour commander une bière.
---Tu m’donnes mes sous?
J’étais le gardien de la bourse. Sandy se refusait de traîner un sac à main ou un mini sac à dos pour y mettre son portefeuille, donc, ma poche gauche servait pour sa monnaie et ses clés. Je lui donnai son argent.
--- Tu as un papier et un crayon?
Je découvris un vieux trac, dans ma poche arrière, qui annonçait un spectacle de dragqueens dans un nouveau bar dans l’ouest de la ville. Je le déchiffonnai et le lui donnai. Mais, aucun crayon sur moi!
---Demande à la barmaid, lui suggérais-je.
Derrière le comptoir massif, une fille en camisole blanche dont les gros seins et les gros bras débordaient, s’approcha de Sandy qui lui avait fait un signe de la main. Elle se pencha pour bien entendre la proposition dans le creux de son oreille et se redressa avec le regard pathétique de la personne qui attend son tour depuis des années et qui voit qu’il n’est pas encore arrivé. Elle alla chercher deux Bleue dry et un stylo. Je payai pendant que Sandy encrait son identité sur le bout de papier. Elle le plia, le garda dans sa main et trinqua en me faisant un sourire. May, dont nous ignorions encore le nom à ce moment, fit semblant de ne pas avoir observé minutieusement nos moindres gestes en redoublant d’ardeur sur du Depeche mode.
« I’m taking a ride with my best friend… »
Je regardai Sandy, elle portait la naissance de toutes les étoiles dans les yeux. Je fis un tour rapide, scrutant l’obscurité bleutée du bar pour voir si je ne me trouverais pas une raison pour faire naître des étoiles dans mes yeux aussi.
Rien.
Que des filles. Ou quelques meilleurs amis, mais soit trop vieux, soit trop grand, soit trop maigre. Soit les trois. Je me retournai vers ma collègue. Elle finissait déjà sa bouteille. Elle l’avait engloutie sur les premières mesures de Libertine de Mylène Farmer. D’un geste soudainement très masculin, elle posa sa bouteille sur le comptoir collant et me regarda de ses petits yeux brillants comme la méditerranée sous un soleil de plomb :
--- On y va?
Elle s’élança sur la piste sans attendre ma réponse. J’avalai la lie de ma bière froide comme un trou normand et j’allai la rejoindre, l’estomac lourd, en rotant.

Nous ne restâmes pas très longtemps. Je m’arrêtai pour me fumer une player’s light sur le son strident de Indochine (que je déteste!) et leur Canary bay (à chier!). La musique devenait de plus en plus franchouillarde-bidon et je commençais à m’emmerder royalement quand ma blonde amie, après avoir fait une feinte vers sa brune aspiration, me rejoignit en me disant :
--- On se pousse!
Nous sortîmes donc. Nous remontions la rue Sainte-Catherine vers l’ouest sans rien dire. Sandy évitait le sujet de la brunette, quand nous avons entendu des pas de course derrière nous.
---Hé! Youhou! Attends! Hé!
Nous nous retournâmes et nous fîmes face à la belle de la piste de danse qui courrait pour nous rejoindre, le bras en l’air, appelant Sandy.
---Pourquoi tu es parties si vite?
---Pour ne pas m’imposer,
répondit, du tac au tac, Sandy.
---Mais…? Tu ne veux pas qu’on ailles prendre un café? Quelque chose? Demanda l’autre.
---Je suis crevé et je travaille demain. Excusa mon amie. Mais, appelle-moi.
---Tu veux qu’on se revoit?
---J’aimerais ça.
---Mon nom c’est May.

Je me souvenais du sourire satisfait qu’avait eu Sandy après, en faisant route vers chez elle. Je me souvenais encore que je n’avais pas fermé l’œil de la nuit parce qu’elle m’avait assaillit de questions et d’extrapolations sur ce que pourrait être cette nouvelle relation. Je me souvenais que pour la première fois de toute notre histoire d’amitié, et cela même si je dormais avec elle au moins deux fois par semaines, je me sentais comme la troisième roue du carrosse couché à côté de cette amie « âme sœur ». Pourtant, May n’avait jamais rappelé!

De retour à la réalité de se mois de juin trop chaud et déjà humide, Sandy avortait toujours la suite en me privant de son regard.
--- Bon, tu vas pas m’laisser comme ça? Raconte! Raconte tout!
Elle resplendissait quand je la sortais d’une bouderie, même fausse, parce que pour elle, c’était une forme de victoire.
---Elle m’a sorti les excuses classiques du genre : Je voulais te rappeler mais j’étais super occupé… Et j’avais perdu ton numéro de téléphone… blablabla et blablabla…
---Peut-être que c’est vrai!
---Tant pis pour elle!

Il s’agissait là du total et du pur Sandy tout craché! Orgueilleuse comme cent paons qui paradent à la saison des amours.
---Tu aurais pu lui redonner ton numéro! Tentais-je d’excuser la situation, du moins de retrouver espoir dans cette histoire.
---Qu’est-ce que tu penses que j’ai fait?
---Et elle va te rappeler?

---On verra bien! Y’a pas encore de certitudes dans mon destin, je suis encore à marcher à tâtons! Me dit-elle en retrouvant son sourire.
J’aimais cette fille. Je l’aimais parce que toutes les histoires, avec elle, finissait par un sourire.
---Alors ?… Flo, on se bouge? Lança Sandy en se relevant. Elle prit les cartons souillés de mauvaise sauce aux tomates et se dandina vers une poubelle au coin de la rue.
L’heure de l’aventure venait de sonner..."
À SUIVRE...

1 commentaire:

Fantastique4 a dit…

wOwww!... Que de souvenirs... On avait 20 ans!
Je suis toute émue-là!
Merci Flo.
Moi aussi je t'aime (encore plus aujourd'hui qu'il y a dix ans!)
XXX